Dickie Moore, Jean Béliveau et Marcel Bonin en 1959. |
L’ailier gauche, Marcel Bonin, a joué dans la Ligue Nationale de hockey pendant neuf saisons. Natif de Montréal, il est déménagé très jeune à Joliette dans Lanaudière. Lui qui a pratiquement grandi dans la cour arrière du Canadien, il a pourtant fait ses débuts dans la Ligue avec les Red Wings de Detroit dans la saison 1952-53. Heureusement, il a pu terminer sa carrière avec le Canadien, qui ne lui avait pourtant pas offert sa première chance.
Contrairement à la croyance populaire, le Canadien n’avait pas un droit exclusif sur tous les joueurs francophones du Québec. Dans les années 1920 et 1930, l’influent propriétaire du Canadien, Léo Dandurand, avait obtenu le droit d’aligner tous les francophones qu’il souhaitait avec le Canadien. Il s’agissait cependant d’une entente tacite que les autres propriétaires respectaient, voyant bien l’importance du marché francophone montréalais. C’était par cette règle officieuse que Dandurand avait pu obtenir le droit d’aligner sa première supervedette, Howie Morenz. Pourtant, Morenz, natif d’Ontario, ne parlait pas un mot de français. Il était d’origine suisse et Dandurand avait du recourir à une ruse en prétendant que la Suisse était un pays francophone. Subterfuge car le père de Morenz provenait plutôt de la partie germanique de la Suisse.
Officiellement, la pratique du repêchage systématique des deux meilleurs francophones québécois n’a eut court que dans les années 1960 sous le règne du directeur général du Canadien, Sam Pollock, qui avait fait entériner cette règle par les autorités de la Ligue de façon à protéger son territoire avant l’expansion de 1967. Les deux derniers joueurs francophones repêchés grâce à cette règle ont été Marc Tardif et Réjean Houle.
L’insistance des autres équipes a mis fin à cette pratique injuste l’année suivante. Heureusement car cette saison-là, Gilbert Perreault allait devenir le premier choix du repêchage. Les Sabres de Buffalo, nouvellement arrivés dans la Ligue en même temps que les Canucks de Vancouver, choisissaient ce grand joueur pour bâtir leur concession.
Si cette règle avait été reconduite quelques autres saisons, le Canadien aurait pu aligner Perreault, Lafleur et Dionne dans la même équipe.
Marcel Bonin et Jean Béliveau avec les As de Québec
Dans les années 1950, au moment où Marcel Bonin débutait sa carrière, le Canadien avait une longueur d’avance sur les autres équipes pour dépister le talent au Québec. Les meilleurs joueurs amateurs signaient un contrat appelé «formule B» qui les liait à l’équipe à jamais. Jean Béliveau avait signé ce type de document alors qu’il s’alignait pour les As de Québec. Aussitôt qu’un joueur qui avait signé une formule B passait dans les rangs professionnels, il devait s'aligner avec l'équipe de la LNH avec laquelle il avait signé ce contrat.
Marcel Bonin avec les As de Québec. |
Québec avaient misé gros sur Béliveau. On lui doit même une partie de la rentabilité de la construction du Colisée, le même édifice qui accueillera les Nordiques plus tard. Un incendie avait détruit le vieil aréna et la ville de Québec ne se voyait pas sans hockey. Elle a immédiatement fait construire un nouvel édifice ultramoderne. Frank Byrne, un des grands bonzes du hockey à Québec, avait misé sur un jeune inconnu de Victoriaville pour emplir cet édifice. C’est ainsi que Jean Béliveau a fait ses débuts avec les Citadelles de Québec. Sitôt son stage junior terminé, Béliveau a décidé de demeurer à Québec en guise de gratitude envers sa ville d’adoption en s’alignant pour les As dans la Ligue sénior du Québec, au grand dam de la direction du Canadien. Le public remplissait les gradins du nouvel amphithéâtre pour voir jouer ce jeune prodige. Il n’était donc pas surprenant que Québec ait fait des pieds et des mains pour garder le grand Jean dans l’uniforme des As. Béliveau était heureux et fort bien traité à Québec. Il faisait même un salaire supérieur à celui des joueurs du Canadien. Frank Selke, le directeur général du Canadien, n’était pas reconnu pour sa générosité.
La Ligue sénior du Québec, dont les As faisaient partie, avait le statut de ligue amateure. Frank Selke avait dû manigancer pour changer le statut de la ligue dans le but d’acquérir les services de Béliveau. Le Canadien était déjà propriétaire du Royal de Montréal — l’équipe était pilotée par Elmer Lach, ancienne grande vedette du Canadien et ami de Selke. Le Canadien subventionnait largement les frais des Cataractes de Shawinigan et aidait certaines équipes en difficultés financières comme les Saints de Sherbrooke. Selke a forcé la ligue à tenir un vote sur son statut qui la ferait passer d’amateure à professionnelle. Comme plusieurs équipes comptaient sur son appui pour obtenir des joueurs et du financement, Selke a pu obtenir un vote majoritaire. Seuls les As s`étaient opposé au changement de statut. La ligue devenant officiellement professionnelle, Béliveau, qui avait signé une formule B, devait donc joindre les rangs du Canadien car, légalement, il ne pouvait jouer pour aucune autre équipe professionnelle.
Son coéquipier avec les As, Marcel Bonin, n’avait pas droit au même traitement royal que la grande vedette des As. C’était pourtant sur la glace du Colisée que Bonin avait décroché son premier contrat professionnel pour Rochester dans la Ligue américaine de hockey. «Il existait plusieurs types de contrats à cette époque, des formules A, B ou C. J’avais signé une formule C avec Rochester, une équipe affiliée aux Red Wings de Detroit», racontait Marcel Bonin. «Lorsqu’on signait une formule C, on appartenait à l’équipe du circuit mineur à tout jamais et on obtenait un beau 50$ de boni à la signature!», ajoutait-il en riant. «Le recruteur qui m’avait fait signer ce contrat m’avait invité à la rôtisserie pour fêter l’événement. Lorsque je suis ressorti du restaurant, j’avais presque dépensé toute la somme», disait-il en riant.
Le Canadien avait tardé à mettre Bonin sous contrat ou ils n’avaient pas vu le potentiel de ce dynamique joueur. Les Red Wings ont profité de l’omission du CH. Les Red Wings de Detroit sont venus disputer un match préparatoire face aux puissants As pilotés par Punch Imlach et guidés par la jeune sensation, Jean Béliveau. C’est plutôt le jeune Marcel Bonin qui en a profité pour leur en mettre plein la vue en «brassant» allègrement tous les joueurs des Red Wings. Les Wings n’étaient pourtant pas dépourvus de joueurs robustes dont Gordie Howe et le dangereux Ted Lindsay, la terreur de la LNH.
Une embauche percutante
«Punch Imlach (l’entraîneur des As) m’avait averti de me méfier de Ted Lindsay qui était très sournois et qui avait l’habitude de garder son bâton lors des bagarres et de s’en servir», confiait Marcel Bonin. Comme ça devait arriver, Lindsay a tenté de s’en prendre à Bonin. Le jeune joueur des As n’a pas hésité et il a frappé le premier. Deux bonnes gauches au menton de Lindsay qui tentait de l’atteindre avec son bâton. Le dangereux Lindsay a été envoyé au plancher, le bâton toujours entre les mains. Escorté par l’arbitre vers le banc de punition, Bonin était passé devant le banc des As et il a dit en riant : «Tu avais raison Punch, il n’a jamais lâché son bâton».
Marcel Bonin n’a pas joué pour Rochester cette saison. Ce jour-là, il avait convaincu les Wings de lui faire une place dans leur alignement. Il a passé trois saisons à Detroit se contentant d’un rôle effacé et d’un temps de glace limité au sein de cette puissance de la Ligue. Pendant son séjour avec les Red Wings, ils remportent le championnat de la ligue à chaque saison et Marcel inscrit son nom sur la Coupe Stanley à deux reprises.
L’émeute au Forum
C’était dans l’uniforme des Red Wings que Marcel Bonin a assisté à la fameuse émeute au Forum de Montréal. Le public montréalais révolté par la suspension de son idole, Maurice Richard, qui était à la veille d’enfin remporter son premier championnat des marqueurs, avait tenté de s’en prendre à l’arrogant président de la LNH, Clarence Campbell. De plus, cette suspension ouvrait grande la porte aux Red Wings qui tentaient à nouveau de remporter le championnat de la ligue en devançant le Canadien en fin de saison. Marcel Bonin racontait : «Nous n’avons rien vu de l’émeute, Aussitôt les gaz lacrymogènes lancés, la partie a été annulée. Un autobus est entré dans le garage du Forum, nous sommes montés dedans et nous n’avons rien vu». Une page d’histoire s’est écrite ce jour-là sans que Marcel n’y voit quoi que ce soit, mais les Red Wings ont remporté le championnat, cristallisant la révolte des francophones.
L’éclosion de la carrière de Marcel Bonin s’est faite cette saison-là (1954-1955) où il avait amassé 16 buts et 20 passes malgré un temps de jeu limité avec les puissants Wings menés par Howe, Lindsay et Sawchuk. Son sort allait être lié à un autre jeune joueur qui faisait ses débuts avec Detroit en même temps que lui, le gardien Glenn Hall.
Jack Adams, le directeur-gérant des Red Wings, jugeait que le jeune Hall était apte à remplacer le légendaire Terry Sawchuk. Dans un spectaculaire échange impliquant neuf joueurs, il a envoyé Marcel Bonin en compagnie de Terry Sawchuk, Vic Stasiuk et Lorne Davis aux Bruins de Boston. En retour, il obtenait Warren Godfrey, Réal Chèvrefils, Gilles Boisvert, Ed Sanford et Norm Corcoran, un échange largement à l’avantage des Bruins.
Les attentes des Bruins étaient grandes à la suite de cet échange. Pourtant rien n’a fonctionné comme prévu pour les Bostonniens. Croulant sous la pression, Sawchuk a connu une de ses pires saisons et Marcel, malgré l’ajout d’un A sur son chandail, n’a pu transporter les Bruins en séries avec sa fougue. Pour la première et dernière fois de sa carrière, une équipe qui aligne Marcel Bonin ne remportera ni championnat, ni Coupe Stanley. Après une année décevante à Boston, les Bruins retournent Sawchuk à Detroit et Marcel a été prêté aux As de Québec qui en étaient bien heureux.
En 1957-1958, Bonin retourne dans la LNH là où il aurait dû commencer : avec le Canadien. Marcel, qui s’était donné pour mission de devenir à Jean Béliveau ce que Ted Lindsay était à Gordie Howe, retrouvait son vieux coéquipier du temps des As de Québec. Piloté par Toe Blake, le Canadien remporta une troisième Coupe Stanley d’affilée. C’était aussi la troisième fois où Marcel gravait son nom sur la Coupe.
1959, des séries magiques
En 1958-59, Marcel remporta à nouveau la Coupe dans l’uniforme du Canadien. Il se contentait d’un rôle modeste de joueur d’utilité durant la saison, mais le grand Maurice Richard était blessé pendant les séries. Le Rocket ne jouera que quatre matchs et n’obtiendra aucun point dans le «détail». Marcel Bonin se retrouva donc à remplir son rôle au sein du premier trio avec Henri Richard et Dickie Moore. Marcel a demandé à Maurice Richard de lui prêter ses gants pour jouer une partie. Armé des gants de Maurice Richard, Bonin compta durant la partie, comme si le Rocket y avait laissé ses mains magiques. Bonin, plus reconnu pour sa fougue au jeu que pour ses habiletés de compteur, supplia Maurice de lui laisser ses gants pour le reste des séries. Il compta 10 buts en 11 matchs éliminatoires, lui qui n’a pourtant jamais réussi plus de 17 buts en saison régulière dans la LNH et il finira au premier rang des buteurs du CH dans ces séries. Mieux encore, Marcel a eu l’honneur de déjouer le gardien des Maple Leafs, Johnny Bower, et de compter le but qui donnait la Coupe au Canadien.
On pourrait croire que de pareils succès constituaient les faits saillants de la carrière de Marcel Bonin, mais, lorsqu’on lui a demandé quels étaient les meilleurs souvenirs de sa carrière, il a répondu: «Mes coéquipiers sont mes meilleurs souvenirs. Toute cette camaraderie et cette complicité me manquent. Ce sont sûrement les meilleurs souvenirs que je garde du hockey.» Cette réponse illustre bien le type de joueur qu’était Bonin: un joueur dévoué à son équipe et ses coéquipiers qui faisait passer les succès de l’équipe avant ses exploits personnels.
Marcel Bonin a principalement joué sur un trio avec Jean Béliveau et Bernard Geoffrion lors de son passage avec le Canadien. Il a toujours été celui qui allait récupérer la rondelle dans les coins de la patinoire (un rôle dans lequel il excellait) pour la passer à ces compagnons de trio qui, eux, comptaient les buts. Il était aussi au premier rang lorsqu’on s’attaquait à eux. Lorsqu’un joueur adverse tentait de s’en prendre à ses coéquipiers vedettes, il savait qu’il aurait à répondre de ses gestes face à Bonin qu’on appelait «l’ours de Joliette». Au fil des années, Marcel n’avait plus à lâcher les gants fréquemment, sa réputation de bagarreur était bien établie et peu de joueurs, même les plus durs, osaient l’affronter. «J’ai affronté Lou Fontinato à plusieurs reprises. Il ne m’a jamais battu ni même inquiété. Après quelques bagarres, il a cessé de nous chercher noise.», nous avait-il déclaré en riant. À cette époque, Marcel n’avait qu’à s’interposer dans les échauffourées et se contentait d’entourer l’agresseur de ses puissants bras pour les neutraliser et faire sentir son inquiétante présence.
Après le hockey
Une blessure au dos a forcé Marcel à quitter le hockey à 31 ans au milieu de la saison 1961-62. Il est retourné vivre à Joliette où il est devenu policier pendant quelques années puis intervenant social dans une polyvalente de cette ville. Pour beaucoup de jeunes de la région qui ont fréquenté cette école, Marcel Bonin était ce sympathique, mais intimidant personnage qui arpentait l’école avec son énorme trousseau de clés. Jusqu’au bout Marcel aura fait régner l’ordre autour de lui dans la bonne humeur. Les jeunes de la région, comme ses coéquipiers d’autrefois, ont découvert un individu coloré et chaleureux qui sait vous mettre à l’aise dès le départ.
Aujourd’hui, Marcel est retiré et vit toujours à Joliette. Il s’est départi de la plupart de ses souvenirs de son passage dans la LNH. Il parle généreusement de cette époque, mais les seuls souvenirs qu’il en conserve sont dans sa mémoire. Ce dont il est le plus fier est la réussite de ses enfants qui ont tous fréquenté l’université avec un grand succès. Ils sont soit en médecine ou artistes. «Pas mal pour ma femme et moi qui n’avons qu’une neuvième année à deux!», nous a-t-il dit en riant. Lui même a grandement surpassé les limites de ses brèves études et il est devenu un passionné d’histoire de Lanaudière. Il possède des centaines de livres anciens qu’ils a tous lus et relus.
Nous vous convions donc à découvrir un peu plus ce charmant monsieur qui a eu l’amabilité de répondre à nos questions sur cette brève vidéo tournée à son domicile. Il y raconte avec son langage coloré quelques histoires qui ne sont pas racontées dans le texte précédent. Cette vidéo a été présentée en février 2012 lors d’une soirée bénéfice pour la construction d’une patinoire recouverte dans le village de Saint-Esprit, à quelques kilomètres de Joliette.
Au delà de la grande générosité dont il a fait preuve lors de cette soirée, elle nous aura permis de découvrir un homme remarquable qui nous a profondément touché par sa grande bonté et son humilité.
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