mardi 26 mars 2019

Une petite tache «on the Stanley Cup»


L’édition de mai 1956 du magazine Sport-Revue voulait d’abord rendre hommage à Émile «Butch» Bouchard qui prenait sa retraite après la conquête de la Coupe Stanley. La couverture est sans équivoque: on y voit Bouchard littéralement accrocher ses patins. Pourtant…

Des souvenirs frais de l’émeute
Malgré le succès du Canadien qui venait de remporter la Coupe Stanley, ce populaire magazine sportif québécois émettait un bémol en parlant de la situation du fait français dans le sport montréalais. D’abord, ils mentionne que les Royaux de Montréal, l’équipe de baseball de la Ligue internationale, émet un billet bilingue et que le le Canadien tarde à s’y mettre.

Le billet de l’éditeur écorche aussi la direction du Canadien qui a omit de s’adresser aux spectateurs en français lors de la cérémonie suivant la conquête de la Coupe Stanley. 12 000 spectateurs assistent au match au Forum et 85% d’entre eux sont francophones. Plus de 2 millions de téléspectateurs regardent la partie à la télévision; la plupart parlent français.

Pourtant, sous l’excitation du moment, l’entraîneur Toe Blake, parfaitement bilingue, oublie de s’adresser en français aux spectateurs présents au Forum. Né en Ontario, Blake est fils d’un Américain (Wilmes Blake) et d’Alzélie Fillion, une «Canadienne française» comme on les appelait alors. Toute son enfance, Blake et ses sept frères et quatre soeurs ne parlaient que français à la maison.

Dans une édition précédente*, Toe Blake — son vrai prénom est Hector, un prénom typiquement francophone — confie au journaliste Claude Larochelle: «Nous parlions toujours cette langue (le français) à la maison, mais à cette époque il n’était pas question de français dans les écoles de l’Ontario et j’ai donc fait mes études en anglais».

Le subterfuge
En 1936 lorsque Blake fait ses débuts avec le Canadien, la franchise est au bord de la faillite. Tous les moyens sont bons pour ramener des spectateurs dans l’amphithéâtre. Le propriétaire de l’équipe Ernest Savard, qui tente de plaire aux francophones montréalais, convainc Blake de jouer sous le nom d’Hector Blais. Parfaitement à l’aise en français, Blake consent à jouer sous ce faux nom. «J’étais jeune, je me sentais fier d’être connu sous un nom français et de plus j’avais l’ambition d’aider le club Canadien par tous les moyens», déclarait-il dans l’édition d’août 1955 du même magazine. Le président de la LNH, Frank Calder, met un terme au subterfuge en signifiant que Toe a joué le début de sa carrière sous le nom de Blake.

Selke dans se petits souliers
L’absence de français lors de la cérémonie tombe à un mauvais moment. Le Canadien s’est fait «voler» la Coupe par les Red Wings en 1954 après la suspension de Maurice Richard et l’émeute qui s’en est suivie au Forum. 

La révolte qui gronde chez les «Canadiens français» est à son point culminant. Le gérant général du Canadien, Frank Selke, prend le microphone après le discours de Blake. Et une clameur commence à s’élever de la foule qui scande: «Du français, du français…» Bien au courant de la situation politique délicate, Selke invite Émile Bouchard à traduire ses propos, mais, surpris, Butch n’en fait rien.

Heureusement, le Canadien avait fait appel au populaire animateur Mario Verdon pour les présentations. Ses paroles furent les seules prononcées en français outre un bref discours du capitaine Émile Bouchard. Mais la victoire permet de tout oublier. Le Canadien remporte ce jour-là la première de ses cinq Coupes Stanley d’affilée.

* Édition d’août 1955, quelques semaines après sa nomination au titre d’entraîneur du Canadien