mardi 19 juin 2018

Les négatifs retrouvés de Roger St-Jean




Article paru dans la section SPORTS, de La Presse+, le dimanche 27 décembre 2015
Les archives de La Presse regorgent de magnifiques photos signées Roger St-Jean. Mais aucune trace des négatifs. Son fils nous a permis de mettre la main sur les négatifs originaux de ces précieux trésors de l'histoire sportive du Québec. Portrait du premier photographe sportif francophone de la province et d'une époque bénie pour ses collègues et lui.

Un dossier d'André Rivest

Maurice Richard saute dans les bras d’Elmer Lach qui vient de compter l’unique but de la partie en temps supplémentaire.
Ce but donne la Coupe Stanley au Canadien. Le capitaine des Bruins, Milt Schmidt, assiste impuissant à la scène rendue célèbre grâce à la caméra de Roger St-Jean.






Pionnier de la photographie sportive, Roger St-Jean a mis son talent et sa passion au service de La Presse de 1947 à 1971. Il rentrait tout juste d'un stage de photographe au sein de l'armée canadienne plongée dans le second conflit mondial.


Passionné de sport, Roger a vite hérité de la couverture de la plupart des événements sportifs au journal. Homme jovial et sympathique, il est rapidement devenu l'ami de nombreux athlètes, dont Maurice Richard et Jean Béliveau.

DANS L'INTIMITÉ DES JOUEURS VEDETTES

Son fils Roger junior se rappelle : « Maurice [Richard] venait manger des spaghettis chez nous. Il faisait des farces avec mon père et ma mère. J'allais me coucher et c'était le party dans le salon. C'était normal chez nous. Ce qui explique un peu que je n'aie jamais eu le culte de la vedette sportive. Mon père m'emmenait partout. J'ai assisté à des parties qui feraient baver d'envie certains amateurs, mais, moi, je jouais sur les rebords des bandes du Forum avec les petits camions que j'apportais ! », raconte-t-il en riant.

Amies, les épouses de Jean Béliveau et de Roger St-Jean rient de bon coeur.




D
DES VEDETTES ACCESSIBLES
La couverture médiatique de l'époque n'avait rien à voir avec celle d'aujourd'hui où l'on voue un quasi-culte à nos équipes. Les photographes, comme les journalistes, avaient accès à tout le vestiaire des joueurs après un bref discours d'après-match des entraîneurs Dick Irvin ou Toe Blake. Les relations d'amitié qu'ils entretenaient avec les joueurs ne faisaient qu'améliorer leurs chances d'obtenir des clichés exclusifs. Et Roger St-Jean était passé maître dans l'art de se faire des amis parmi les célébrités.

Dickie Moore, Jacques Plante, l’entraîneur du Canadien Dick Irvin et Floyd Curry prennent la pose pour St-Jean.


ACCÈS PRIVILÉGIÉ AU VESTIAIRE
Michel Gravel faisait ses débuts comme photographe pigiste pour le Hockey News au début des années 50. « Roger m'a beaucoup aidé à mes débuts. Il m'a présenté à tous les joueurs et ça a grandement facilité mon travail. Les amis de Roger St-Jean étaient toujours bien accueillis dans le vestiaire », raconte-t-il, 60 ans plus tard.

Roger St-Jean a dû sauter sur la patinoire
pour obtenir cet angle sur cette bagarre
entre Maurice Richard et Bill Juzda. On voit
clairement que cette scène n’a pu être
prise ailleurs.
« C'était une autre époque. Chaque journal avait un banc réservé aux photographes au bord de la bande entre la ligne bleue et la ligne des buts. Aucune baie vitrée ni aucun grillage ne nous protégeaient. Il fallait rester très attentif au match, sinon nous risquions de recevoir une rondelle égarée ou un coup de bâton. Lorsqu'une bagarre éclatait, nous enjambions la rampe pour prendre de meilleurs clichés, risquant notre peau en souliers sur la glace. C'était permis de le faire et les joueurs aimaient bien ça, car ils savaient que leur photo serait publiée dans le journal », relate Michel Gravel.

En 1954, Roger aidait un autre jeune photographe à faire ses débuts à La Presse : son jeune frère Réal. Ainsi naissait le célèbre tandem des frères St-Jean. «Je suis arrivé avec mon vélo et mon appareil photo le premier jour. On m'a dit : “On va te donner un essai, le jeune”, et j'ai enfourché mon vélo. Il faut croire que ç'a bien été car je suis reparti 30 ans plus tard », racontait Réal St-Jean, décédé en novembre 2014.

« Le plus beau voyage sportif que nous ayons fait est lorsque nous avons accompagné Équipe Canada en URSS lors de la Série du siècle, en 1972. Tous les spectateurs russes étaient habillés de noir ou de gris. Il ne leur était presque pas permis de manifester leur joie après un but. Il y avait des soldats partout. Nous [la délégation canadienne] portions des vêtements colorés et des foulards rouges Canada et nous paraissions très exubérants en comparaison aux Soviétiques, racontaient Réal et sa femme.

L'armée était omniprésente. Un soir, nous avons fêté avec d'autres Canadiens. Il devait bien être 2 h du matin lorsque nous sommes rentrés. Les deux hôtels étaient face à face, séparés par un grand boulevard totalement désert. Aussitôt que nous avons mis le pied sur le boulevard pour le traverser, un groupe de soldats s'est mis à hurler. Impossible de le traverser. Il nous a fallu faire un détour de plusieurs kilomètres pour rentrer. Le choc culturel était total. »